Sentiment de soi et définition de l’image inconsciente du corps
Le sentiment de soi naît de la mémoire, consciente et inconsciente, qu’un individu a de son histoire. Cette mémoire est perçue sous forme d’images qui se sont élaborées au cours des années. Une grande partie de ces images sont enfouies dans l’inconscient, et forme ce que Françoise Dolto nomme l’ « image inconsciente du corps ». Cette image inconsciente du corps est « l’ensemble des toutes premières et nombreuses impressions gravées dans le psychisme infantile par les sensations corporelles qu’un bébé, voire un fœtus, éprouve au contact avec sa mère, au contact charnel, affectif et symbolique avec sa mère » (J-D Nasio). Cette image inconsciente du corps, à la base du sentiment de soi, se forme pour l’essentiel au cours de la vie intra-utérine et dans la prime enfance, et demeure active toute la vie.
Les 3 composantes de l’image inconsciente du corps
L’image inconsciente du corps est la résultante de 3 types d’images (comme expliqué par Dolto et repris par Nasio) :
- L’image de base
- L’image fonctionnelle
- L’image érogène
L’image de base est « celle qui assure à l’enfant la conviction innée que son corps repose sur un sol ferme qui le porte et le supporte ». L’enfant ressent son corps comme une masse compacte, d’abord par la pression du liquide amniotique puis par les sensations au contact du corps de la mère. Cette image rassure l’enfant, en lui faisant percevoir son corps comme un abri protecteur.
L’image fonctionnelle « est, au contraire, l’image du ressenti d’un corps agité et fébrile, tout entier tendu vers la satisfaction des besoins et désirs ». Le corps est perçu en constante activité, mouvement, et plein de besoins.
L’image érogène est « l’image d’un corps ressenti comme un orifice livré au plaisir, dont les bords se contractent et se dilatent au rythme alternant de la satisfaction et du manque ».
L’image de base est la plus importante car elle constitue un refuge protecteur lors de crises ou de régression. Elle assure une sécurité d’exister.
L’image spéculaire et le refoulement de l’image inconsciente du corps
Dolto pense que lorsque l’enfant prend conscience que l’image qu’il observe dans le miroir est la sienne (vers l’âge de 3 ans), il en ressent un énorme traumatisme. Pour Lacan au contraire, l’enfant en éprouve une joie intense. Dans les deux cas, l’enfant comprend que les autres ont à voir cette image de lui et non l’image qu’il ressent et qu’il s’est élaboré intérieurement. Il se produit alors une faille et un refoulement des sensations et du vécu interne au profit de l’image externe. L’enfant part alors à la conquête d’une autre image qu’il fait sienne, et à laquelle il s’identifie. L’image du corps-vécu tombe en grande partie dans l’inconscient, l’enfant se consacrant désormais à l’image du corps-vu. Ce processus se produit en même temps que la transformation de la relation à l’autre, avec le passage notamment de la fusion corporelle avec la mère au langage parlé et au perfectionnement des capacités motrices de l’enfant. La communication kinesthésique et corporelle mère-enfant laisse la place à une relation où les images spéculaires des protagonistes acquièrent une grande importance, et l’enfant s’occupe alors plus de son apparence que de son monde intérieur, qu’il oublie avec le temps. Cela persiste souvent chez les adultes ; la vie interne et sensorielle est négligée au profit du paraître, du corps-vu. Le Moi n’en reste pas moins une foule d’images corporelles internes et externes. L’avantage de l’image du corps-vu est qu’elle présente le corps comme étant uni, comme étant un tout compact et cohérent qui se révèle rassurant, alors que la mosaïque d’images intérieures s’avère parfois effrayante de par son incohérence, les pièces la composant ne s’emboîtant pas toujours parfaitement comme celles d’un puzzle.
Mais ces fresques d’images inconscientes sont réactivées lors des crises de croissance de l’enfant, et de certaines crises survenant à l’âge adulte. Elles s’expriment aussi au quotidien, par des manifestations spontanées du corps, de la parole, des comportements involontaires, des mimiques, gestes et postures. Le corps évolue, façonné par l’inconscient.