Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

La thérapie par la danse


Art-thérapie et danse-thérapie – le besoin de danser - analyse mouvement temps/rythme/espace – l’efficacité symbolique du mouvement – scission corps/conscience – conscience du corps – techniques de conscience du corps


1) Présentation


L’art-thérapie


La danse-thérapie fait partie de l’art-thérapie, qui est une méthode de soin basée sur l’utilisation de l’art dans un but thérapeutique. Les personnes venant aux ateliers peuvent s’exprimer dans une ambiance agréable et évoluer en résolvant petit à petit les problématiques inconscientes qui les préoccupent, en étant guidées par un thérapeute qualifié. Ce qui fait mal au niveau psychique et/ou psychosomatique peut être exprimé et transformé, en étant utilisé dans un but constructif. L’expression des patients est donc canalisée grâce au cadre établi, structurée grâce au médium artistique utilisé, et structurante car aidant à la reconstruction personnelle. C’est aussi une occasion d’être en groupe et de se sentir protégé, encadré et encouragé sans jugement. Les arts utilisés peuvent être la peinture, le dessin, la danse, la sculpture, les marionnettes, la musique, le chant etc….
L’art-thérapeute est une personne ayant à la fois de l’expérience dans une ou plusieurs disciplines artistiques qu’il ou elle peut ainsi proposer dans ses ateliers, et une formation spécialisée en psychologie adaptée à la thérapie par l’art. Son expérience est donc théorique et pratique.
L’art-thérapie s’adresse à un large public : elle trouve sa place dans le traitement de troubles tels que dépression et troubles psychosomatiques, problèmes alimentaires et conduites addictives, autisme, psychoses….mais peut être également très profitable à des personnes cherchant à mieux se connaître et à s’exprimer de façon constructive via l’art, ainsi qu’aux
personnes âgées. C’est aussi un bon moyen d’expression lorsque la parole fait défaut (cas de mutisme) et que la cure psychanalytique n’est pas efficace.
En art-thérapie, les exercices se transforment en jeux, et, alors que le sérieux et le froid contractent, l’ambiance chaleureuse des ateliers débloque et détend. Les séances sont donc propices à la participation de chacun et à l’expression de tous. La notion de jeu ouvre également l’espace nécessaire au transfert (voir troisième partie) et à l’inconscient. Il est possible d’être quelqu’un d’autre, de faire semblant pendant la séance, et de rejeter son masque ou son costume, ou son rôle à la fin. Le jeu permet de mieux se connaître et aussi de trouver sa véritable identité. Certaines personnes pourront se sentir plus vraies au cours du jeu et se rendre compte du faux self et de l’image sociale qu’elles cherchent à donner. C’est l’une des actions importantes du jeu en art-thérapie : devenir de plus en plus vrai et spontané, se retrouver quand on a fait semblant trop longtemps pour correspondre aux désirs des autres et être accepté.


La danse-thérapie


La danse-thérapie est une des branches de l’art-thérapie. Dans ce cas, la danse est le médium artistique utilisé pour la thérapie. En investissant le corps, la danse-thérapie a de nombreuses actions intéressantes. Alors que la danse peut être exécutée parfois de manière mécanique et imitative dans un but esthétique uniquement, la danse-thérapie permet un travail en profondeur et en conscience. Les troubles psychiques à manifestations somatiques (troubles de l’image du corps, anorexie par exemple) trouvent avec la danse-thérapie un moyen d’expression intéressant. Les zones qui résistent ou qui bloquent ont très souvent une histoire psychique et émotionnelle associée.
Dans une société où l’accent est mis sur une tête bien pensante ou un corps instrumentalisé au service de l’image à donner (corps-vu), la danse-thérapie fait partie des domaines
d’intervention efficaces, en apprenant à reprendre conscience de son corps et à le respecter, tout en développant une meilleure maîtrise et une meilleure structure corporelle et psychique.
La séance peut se dérouler en musique, ce qui permet la mise en place d’une enveloppe vibratoire et protectrice, qui porte et transporte, et favorise l’expression de l’inconscient. De plus, l’intérêt du mouvement en danse-thérapie est qu’il est porteur à la fois d’aspects conscients et inconscients, d’où son utilisation dans le cadre d’une thérapie. Le mouvement a une efficacité symbolique et est porteur de sens.
La danse-thérapie permet un travail de structuration psychocorporelle en agissant sur le tonus en relation direct avec le système nerveux et les émotions, le rythme, le poids, le centre et l’ancrage, l’axialité, le déplacement et la prise de conscience de l’espace, interne comme externe, et les limites physiques (peau) et psychiques. En agissant par le biais du corps et du mouvement dans un espace et un temps donnés, c’est tout une personnalité qui se construit et se structure. La danse-thérapie permet donc un travail direct sur l’image inconsciente que chaque personne a de son corps.


2) Le besoin de danser


La mémoire du corps ; commémoration de la situation originelle mère-enfant


La danse vitalise, socialise et éduque ; elle permet de se découvrir soi-même en jouant avec les autres. Les danses populaires notamment, à travers une série d’analogies, ressuscitent une mémoire du corps oubliée, et permettent de réactiver des strates psychiques de l’individu datant de sa vie intra-utérine et de ses premières années d’existence.
La danse est un processus de remémoration, qui réveille et met en mouvement le corps-mémoire du danseur en le faisant revisiter des strates psychiques de son histoire plus ou moins tombées dans l’oubli. Les percussions, le rythme, rappellent la pulsation originaire, le « tambour » du coeur de la mère que le foetus perçoit dans son bain sonore utérin et qui rythme
ses premiers jours d’existence. Les mouvements respiratoires, le soufflet pulmonaire, les va-et-vient inspir/expir maternels ainsi que la mélodie de la voix lui permettent déjà de vivre l’expérience vibratoire et rythmique du son et de la musique.
Les danses populaires sont un moyen pour l’individu de rejouer autrement et en adulte ses premières expériences dynamiques de vie. Les jeux d’alternances, de répétitions, de miroirs, d’imitations, de fusion/séparation, similitude/différence sont un rappel de ses instants primordiaux avec la mère, une recréation symbolique et artistique de la situation fondatrice. Le groupe réactualise le rapport à la mère : le groupe enveloppe, entoure, nourrit, protège ; il permet aussi de se découvrir et de dégager son individualité par le processus du même et de l’autre : « je suis comme vous tout en étant différent ». Le groupe permet l’union sans la fusion, autorisant ainsi un espace transition de jeu, de transformation, de partage dans lequel s’instaure le lien qui rassure. Il permet la mise en place de limites entre soi et l’autre, calmant ainsi les angoisses liées à la pulsion de mort et aux fantasmes de morcellement. Les pulsions peuvent s’exprimer grâce à la musique, au rythme.
La danse permet une psychanalyse de groupe – plus joyeuse et festive qu’une cure psychanalytique - grâce à une régression qui met à jour les phénomènes affectifs enfouis.
Ainsi, la danse populaire peut agir comme une thérapie car elle est utile au processus d’individuation et de socialisation et permet de réactiver par un jeu corporel et social des mémoires enfouies dans des strates psychologiques profondes de l’individu.


Le mouvement de balancement


Toutes les mères bercent leur bébé d’un mouvement de balancier, de va-et-vient latéral ou vertical, destiné à apaiser et calmer. Déjà Platon conseillait pour les nourrissons, de l’alimentation et du mouvement (bercements). En effet, le balancement qui vient de l’extérieur calme et maîtrise le mouvement interne de peur, d’angoisse, de frayeur que peut ressentir le nourrisson. Le bercement apaise les blessures et les peurs (naissance, sevrage,…). Un
balancement permet d’instaurer une vibration commune, unifie et donc apaise les angoisses de morcellement ; l’étroitesse d’un lien se crée dans un bercement à deux. L’enfant s’unit à la mère par la vibration du balancement qui représente un lien dynamique. Le danseur revisite ce mécanisme de l’enfance. Ce mouvement d’aller-retour entre fusion et séparation permet la mise en place d’un lien qui permet de maintenir la relation et l’union vibratoire entre deux personnes. « Le balancement fait donc partie des comportements qui plongent dans la nature mais sur lesquels s’étaye la culture. Il fait passer de l’une à l’autre. » (F. Schott-Billmann). Le balancement permet de s’unir à l’autre, d’être sur la même vibration, puis de s’en différencier, de s’en séparer. C’est une dynamique d’union et de division. C’est un jeu de l’alternance, un rythme à deux temps, qui suppose et reconnaît l’autre et fait que les partenaires s’expriment chacun à leur tour ; ce balancement permet de distinguer de l’altérité au sein de l’enveloppe vibratoire commune. La danse et la musique adoucissent les moeurs. Les danses populaires et les danses enseignées actuellement dans les écoles permettent un autre rapport au corps et à l’Autre. Elles favorisent la création d’un lien, l’expression personnelle, et aident à franchir les barrières de l’ego pour faire l’expérience de l’Autre et de l’altérité. La création et l’entretien d’un lien social font partie de la fonction principale des danses populaires. C’est pourquoi elles ont leurs places dans les fêtes ; « elles s’adressent à tous et appellent irrésistiblement le corps à traduire la musique en mouvement » (F.Schott-Billmann). Les danses populaires et beaucoup de danses enseignées à l’heure actuelle dans les écoles se basent sur un code musical et gestuel, un langage corporel, que chacun s’approprie et exprime à sa façon. Elles font partie d’une culture orale, mais qui se transmet par le corps. Et parce que voir quelqu’un danser déclenche une empathie musculaire et appelle à partager l’expérience du mouvement et du jeu codé proposé, le sujet est amené à rentrer dans la danse ; son corps répond à l’appel, par un élan musculaire minime, qu’il suffit d’amplifier pour en faire de la danse ; il apprend d’abord par imitations, car comme le disait Aristote, l’homme est « le plus mimeur des animaux », et partage le jeu de la répétition qui code et structure le phrasé musical
et dansant. Ainsi le rythme de la musique, le couplage des phrases parallèles, les strophes qui se répètent et envoûtent codifient ce langage corporel et socialisant. Le sujet va alors rentrer dans un mouvement de groupe et de société, par imitation et acceptation du code proposé. Cependant, le mouvement répété et imité semble être le même, mais à bien observer, on se rend compte qu’il diffère suivant les personnes et les individualités. Ce qui est répété est alors toujours différent ; cela correspond à une autre dimension du jeu, la réciprocité ; le lien social se crée notamment dans cet aspect de la danse qui intrigue, l’écart qui appelle. Bien que le mouvement soit formaté, chacun s’y exprime, s’affirme, l’interprète et éprouve sa singularité. Le code est transmis, mais chacun est libre de le vivre à sa façon. Et loin de brider la libération pulsionnelle, certaines danses la favorisent, la suscitent et la légitiment. C’est lors du partage des expériences, interprétations et énonciations personnelles que se met en place un lien social ; la communication peut s’établir, le langage est le même pour tous, mais chacun y met sa touche personnelle, son accent qui invite au jeu et au partage dans cette re-création chorégraphique. Ainsi le prix à payer pour ce sentiment de groupe est de suivre les règles, les lois, les codes mis en place. « Imiter/être imité, voir/être vu, le dispositif des danses se fonde sur cette circularité d’échanges entre recevoir/donner ». La danse permet donc une expérience communautaire désexualisée, une communion collective. Elle relie les individus. L’adhésion collective au rythme engendre une vibration partagée ; «un grand corps danse». Le mouvement permet une expérience corporelle et relationnelle intense, jubilatoire, qui peut dans certains cas dépasser largement le cadre d’un divertissement. Les oreilles reçoivent l’information musicale, mais la peau et les organes internes sont aussi sensibles à ses vibrations, éveillant un monde de sensations kinesthésiques (sensibilité des muscles en mouvement) et coenesthésiques (sensibilité des organes internes). Les individus se mettent en phase sur la musique et le rythme ; même les émissions télévisées retransmettent cette vibration pour connecter et faire vibrer l’humanité. Cette synchronie, ce sentiment de participation mènent à l’identité de « sujet collectif » : à la fois uni au groupe et pourtant membre différencié. « La participation n’est pas une fusion, mais une union » : le social et l’individuel peuvent donc être vécus sans contradiction. De plus par imitation et partage, le danseur se décentre de lui-même,
s’allège de soi. On entre là dans une dialectique d’identification et de désidentification qui permet à l’individu de trouver sa place entre fusion et séparation, et de définir ses limites, d’évaluer jusqu’à quel point il est semblable à l’autre et où commencent sa différence, son individualité. « La danse joue un rôle très important dans la construction et le renforcement de l’identité en pédagogie et en thérapie ». L’individu en arrive à percevoir : « je ne suis pas toi mais je suis comme toi ». C’est la problématique du même et de l’Autre : « je suis le même que toi, mais tout en étant Autre ». La danse offre donc à l’individu la possibilité de faire partie d’un groupe, de se mettre en phase aidé par la musique, le rythme et les codes établis, sans pour autant se perdre dans les identifications. La foule de sensations corporelles permet au danseur de prendre conscience de son existence, de son enveloppe et de ses limites physiques. De plus, « l’union du corps à cette puissante musique suffit à rendre infatigable de nombreux danseurs ». La musique porte et transporte, la mise en phase avec ses vibrations recharge l’organisme et le met en mouvement. On est toujours dans la problématique du même et de l’Autre, du soi et du non-soi ; le corps accepte de se laisser traverser par une énergie Autre, qui vient de la musique, du groupe, du rythme, de l’effet de répétition envoûtant. « Le danseur accueille l’altérité et se donne à elle, l’épouse, la laisse pénétrer son corps, l’ordonner, jouer à travers ses membres ». L’Autre, l’extérieur, devient la cause interne du mouvement et prend pour un instant la place du Moi. C’est un phénomène de masse, une union avec une altérité plus vaste que le Moi. Pendant un moment, les barrières de l’ego s’effacent, le danseur entre dans une « transe en danse » et se laisse transcendé, oubliant son narcissisme, voyageant au-delà des limites de son Moi. Cette expérience intense et désexualisée d’union à la fois avec soi-même, son moi-peau, son corps et avec l’Autre est le facteur principal créant le besoin de danser. Le plaisir de danser et les effets bénéfiques de la danse permettent ainsi son utilisation en thérapie : « la danse est un médiateur culturel entre un sujet et un thérapeute qui est à la fois formé à la danse et à la relation ; il doit être convaincu que celle-ci offre un moyen éprouvé de sortir de son enfermement, d’entrer en relation avec l’autre et de s’exprimer ». De plus, la tendance actuelle de la danse est d’interpénétrer toutes les gestuelles, « à la fois le retour à la culture régionale (le même) et l’ouverture à la différence (l’Autre sous toutes ses formes) »(F.Schott-Billmann). La danse propose ainsi un code, une structure, un langage qui peuvent permettre à tous de faire l’expérience de l’union à la fois avec soi-même et avec les autres.


3) Mouvement, temps/rythme, espace


La vie est mouvement, comme une danse, à l'inverse de la mort, caractérisée par la rigidité, le froid, et l'immobilité.
Caractéristiques du mouvement et utilisation thérapeutique de la danse
Tout d'abord, le mouvement permet de générer de la chaleur, et cet aspect chaleureux est un marqueur affectif important, qui va avoir des répercussions sur les émotions et le bien-être général de l'individu. Le mouvement offre également la possibilité de ressentir son corps et d'en jouir, de retrouver une certaine liberté motrice au fur et à mesure des séances de thérapie. La danse permet donc de restaurer un certain narcissisme primordial (jouissance corporelle du stade enfantin) grâce au travail du mouvement investissant le corps. Ce médium physique utilisé n'est pas neutre; il a ses règles propres, il a un vécu, une mémoire, ce qui va influer sur le contenu de ce qui est exprimé. L'art et la danse en particulier vont donc permettre une réunification des parties consciente et inconsciente de la personne grâce au transfert et à l'expression de l'inconscient dans la réalité consciente.
Le mouvement est un engagement actif dans le monde et une avancée sur la voie de la connaissance et de la compréhension des choses; en effet, les modifications du tonus musculaire permettent d'appréhender et de répondre aux stimulis extérieurs, et le travail corporel va aider à une meilleure coordination et adaptation aux situations. Une stimulation externe va entraîner un écho interne, une réponse musculaire et une modulation tonique, puis une réponse appropriée à l'événement. Chez les personnes handicapées ou déficientes mentalement, cette chaîne de réactions de l'organisme ne s'effectue pas correctement, d'où l'importance d'un travail sur le corps et le tonus musculaire adapté aux situations. Cet aspect intentionnel, conscient et volontaire du mouvement est appelé "mélodie cinétique" sur le plan
psychophysiologique. C'est la forme visible et manifestée, l'apparence qui découle de la réponse tonique de l'organisme. On distingue dans le mouvement un aspect quantitatif, le flux, et un autre qualitatif en relation avec les énergies du mouvement. Ces deux aspects sont étroitement liés. Le flux est une certaine quantité de quelque chose qui s'écoule, il évoque la fluidité du mouvement. Benoît Lesage parle de flux liés, contenus ou libres, en fonction d'états émotionnels particuliers comme la tristesse, la colère, ou la joie par exemple, ou suivant ce que l'on cherche à exprimer par le mouvement. La colère (lorsqu'elle est encore intérieure) se manifeste par un flux contenu et une rigidité tonique alors que la joie donnera un mouvement plus libre, notamment. La personne pourra donc exprimer sa colère via le mouvement ou exprimer la colère par un mouvement évocateur grâce aux variations de flux (interconnexion support corporel et sens véhiculé). Ces flux de tension vont entraîner des flux posturaux, qui sont des accommodations toniques musculaires aux stimulations. La rigidité ou la souplesse mentale vont donc s'exprimer physiquement. Par ces flux, le corps est sans cesse sculpté pour s'adapter et répondre aux évènements. Benoît Lesage propose donc un axe de travail important: favoriser le flux postural, afin d'exercer les schèmes moteurs et réduire le décalage avec la réalité par des exercices de coordination.
La qualité du mouvement est liée au travail des énergies, avec une alternance des flux, un jeu d'oppositions entre mouvements soudain (bref et explosif) et soutenu (contenu), ou central (dense) et périphérique (léger). La notion de rythme naissant des oppositions va aider à retrouver une certaine dynamique de vie, avec une alternance de périodes comme dans tout mouvement fréquentiel (battements du coeur, lumière…). Lorsque la fréquence devient plate, sans variations, c'est la mort, l'absence de mouvement. L'exploration de différentes qualités de mouvement va permettre à des émotions ou des images de s'exprimer. La personne se lance en terrain inconnu, ou interdit par son corps, car trop chargé d'émotions et de tensions. Il s'agit d'"explorer une façon d'être différente, un soi qui est soi-même tout en étant ouvert à autre chose". C'est dans ces mouvements inhabituels et peut être difficiles au début que le sujet trouvera matière à travailler pour mieux se connaître et libérer ses blocages, pour ne pas rester piégé dans un registre et des habitudes; "en investissant et explorant une façon de bouger, j'entre dans – je crée- un état psychique particulier". En résultera une meilleure qualité de vie,
plus riche intérieurement. La danse est donc une thérapie intéressante au niveau psychosomatique; elle fait le lien entre le physique, le mental et l'émotionnel.


Temps et espace extérieurs et intérieurs


Avec le temps, on est soi-même tout en évoluant et en se transformant continuellement. Le temps est défini par sa périodicité, suite de moments faibles et forts, son rythme. Le temps est malléable, c’est une notion subjective, il semble passer doucement ou trop vite, on le perçoit vide ou plein. Lorsque l’action et le temps sont en phase, le temps paraît rempli, l’individu est en accord avec le monde et avec lui-même ; lorsque le temps est vide, il y a ennui, le sujet subit la vie, la longueur et l’inintérêt des moments qui s‘écoulent. La vie de certains handicapés est atemporelle car monotone et sans modulation. Un travail sur le rythme en danse-thérapie va permettre de retrouver une bonne coordination entre le mouvement, c’est-à-dire l’action, et le temps, le rythme. L’action et le temps pourront alors se retrouver en phase et donner à l’individu le sentiment d’être acteur de sa vie, et de ne plus subir la lourdeur et la longueur du temps qui passe en se demandant que faire. Il aura alors l’impression de reprendre sa vie en main, de retrouver sa capacité à construire, créer, dans l’espace potentiel que représente le temps. Le rythme déclenche un véritable travail psychique : déjà le bébé perçoit son temps rythmé par la présence ou l’absence de sa mère, les tétées… Dès le plus jeune âge, le temps est ressenti comme une variation de temps forts et faibles, une suite de moments, de périodes de diverses fréquences. L’espace potentiel qu’est le temps est donc rythmé et offre la possibilité à l’individu, en remettant en phase temps et action, de se sentir être dans le faire, et être acteur de sa vie.
Avec l’espace, chaque élément a une étendue, des limites, un dedans et un dehors. La spatialité renvoie à la structuration du moi. C’est une notion importante dans le cadre de la structuration psychocorporelle du sujet. Beaucoup de pathologies présentent un problème à ce niveau-là, avec un moi non structuré ou instable et des limites mal définies. Le travail de l’espace extérieur renvoie à l’espace perçu intérieurement. La définition d’un dedans et d’un
dehors est essentielle dans la structuration du moi ; lorsque cette étape du développement psychocorporel fait défaut, les limites ne sont pas stables et l’identité est aussi fluctuante. Par le mouvement, le déplacement, le sujet fait naître l’espace. Il crée son espace personnel dans l’espace potentiel à sa disposition. Cet espace potentiel passif va devenir vivant par l’activité du danseur : « l’espace se construit dans l’action qui se structure ». Le travail de l’espace transforme la perception que l’individu a de lui-même, et lui permet surtout de définir ses limites, son propre espace intérieur, et sa place dans la société, par un travail de groupe. Dans un cercle, tous les points sont à égale distance du centre, c’est l’occasion de se retrouver au milieu d’un groupe sans être mis ni en valeur ni en retrait. L’espace investigué peut être également corporel, en s’intéressant directement aux possibilités de variations du corps (modulation de tonus, de volumes, dilatation/ rétrécissement d’espaces internes avec les sensations et émotions associées). Les espaces extérieur et corporel renvoient donc directement à l’espace intérieur vécu par le sujet et permettent de travailler sur la structuration psychique de son moi.
« La danse est comprise comme créatrice de corps, de temps et d’espace, et non pas simple agitation d’un corps dans l’espace ».


4) La conscience du corps


La prise de conscience corporelle est un élément important au cours des séances de thérapie, et peut être notamment travaillée en danse-thérapie, et tout type de travail sur le mouvement et le corps. Quel est le lien et le rapport entre la conscience et le corps ? Quelles techniques et méthodes sont utiles pour élargir la conscience corporelle ? Qu’est-ce qui peut provoquer une scission entre le corps et la conscience ?


Corps et conscience


En danse, c’est toute la complexité sensitive, motrice, affective et psychosomatique d’un individu qui s’exprime. La conscience de son corps, du mouvement, du monde extérieur, c’est-
à-dire l’état de présence du sujet, va reposer sur ces nombreux paramètres qui sont impliqués dans le travail corporel. « La danse se situe à la confluence entre image motrice, émotion, sensation, expression, espaces moteurs internes et externes. » (Benoît Lesage). Pour Gerda Alexander, les émotions s’actualisent dans les états toniques. Les tensions sont l’expression d’un refoulement. Elles diminuent l’état de conscience et de présence de l’individu et limitent sa liberté relationnelle. Ce sont ces tensions, autrement dit l’expression de réactions et de blocages, qui vont déterminer la qualité de la présence du sujet avec son entourage. W.Reich pense qu’ « une tension musculaire contient en elle-même son histoire et sa signification ». Benoît Lesage ajoute que « ce qui est déterminant, c’est la signification de ces contractures dans la relation ». Lorsqu’une partie du corps est contractée, c’est que le rapport à certaines choses l’est également ; cette zone n’est pas totalement intégrée à la conscience du corps, les tensions bloquent cette intégration. Par un travail adapté (que nous développerons dans le paragraphe suivant), il est possible et nécessaire de redevenir conscient DE cette zone et PAR cette zone. On est conscient du corps aussi bien que par le corps. Stuyf met en évidence qu’une certaine attitude, un vécu du corps, musculairement défini, sous-tend une certaine présence. « Le corps (et son vécu) est la clé de voûte d’une présence motrice, sensitive, relationnelle, affective… ». La présence au corps d’autrui , la présence à l’entourage, dépend de la présence consciente, c’est-à-dire de la conscience corporelle. On pourrait définir alors la conscience du corps comme un corps conscient dans sa présence, de façon à faire l’ « expérience sensible d’une présence mouvante et émouvante » (B.Lesage). Le principe est que l’on apprend à connaître un objet par le maniement et l’usage ; c’est la même chose pour le corps, grâce à la danse ou d’autres disciplines corporelles. Prendre conscience de son corps et apprendre à le connaître, c’est se rendre compte de ses tensions (variations de tonus musculaire) et vivre l’espace intérieur, le volume interne, qui se meut dans un espace externe, et entre en relation.


Les techniques de conscience du corps


Ce qui caractérise ces techniques, c’est notamment le fait qu’elles s’adressent à des individus dans leur globalité. Elles permettent un travail sur la qualité du mouvement et de la présence
au monde, en régularisant le tonus musculaire et en le rendant flexible. Elles répondent au besoin de travailler le corps pour qu’il puisse répondre aux attentes de l’esprit et de l’imagination, pour réduire le fossé entre imagination et réalisation motrice, entre corps et esprit, de façon à acquérir une aisance dans le mouvement. Ces approches permettent trois types de rapport au corps : sensitivo-sensoriel/ basé sur l’analyse, la représentation et la visualisation/ intuitif, avec la notion de « mouvement juste ». Avec l’approche sensitivo-sensorielle (que propose notamment la méthode appelée « eutonie »), l’accent est porté sur la sensorialité, afin de développer une tonicité harmonieuse et juste. Le corps est ressenti de l’intérieur, les espaces corporels sont à investir par la perception et à intégrer à la conscience et au mouvement vécu. Les sensations sont travaillées au repos et dans le mouvement, afin de rendre le corps plus conscient, plus vivant. Gerda Alexander explique que « ce qui fait d’un danseur un artiste, c’est non pas la flexibilité musculaire seule, qu’un gymnaste peut présenter également, mais son corps vivant, vécu dans toutes ses parties en unité ». Le travail sur le tonus se fait donc en toute conscience, pour redonner l’état de présence à chaque partie du corps. « L’individu doit jouer librement sur son clavier tonique, ce qui élargit sa capacité d’insertion et de présence dans les situations assurément diverses qu’il rencontre ». A chaque nouvelle zone intégrée, la présence se fait plus riche et plus subtile. Pour Gerda Alexander, ce travail de présence est aussi relation ; il s’agit de développer la présence et la conscience dans la communication.
La deuxième approche, basée sur l’analyse, la représentation et la visualisation (comme c’est le cas de la kinésiologie), permet d’analyser et de comprendre les mécanismes du mouvement, notamment par l’étude de l’anatomie fonctionnelle, pour une représentation juste. L’image mentale est appliquée au corps, ce qui permet sa maîtrise raisonnée. L’individu prend ainsi conscience de ses mécanismes de fonctionnement et de ses zones endormies. Cette approche permet de réveiller le corps, les réflexes, la coordination.
Enfin, la troisième approche est intuitive (technique M.Alexander), comme c’est le cas dans les arts martiaux. C’est une technique qui fait appel au « mouvement juste », visant à l’union corps-esprit. Le sujet prend conscience du mouvement intérieur et extérieur ; « par cette
double conscience, (le danseur) ne se précipite pas dans le mouvement, il est pleinement dedans. Il crée ainsi entre lui et le mouvement une distance dans laquelle le spectateur peut entrer. » (Elizabeth Molle, danseuse). Un des aspects caractéristique de cette approche est la répétitivité, jusqu’à ressentir la justesse, la fluidité du geste, et ainsi sentir quand il est bien réalisé. Un maître de karaté explique que « ce n’est pas la multiplicité des techniques qui est importante, c’est comprendre ce que l’on met dans un geste » : c’est-à-dire le niveau de conscience et de présence lors de la réalisation du mouvement, la coordination entre le geste et la concentration. Dans ce cas-là, le placement du corps et la vigilance sont optimaux.
Ces trois types d’investigation du corps ont pour objectif de permettre une présence accrue au corps et au monde, par un apprentissage et une compréhension passant par la corporéité.


Volontarisme et scission corps-conscience


Lorsque la volonté est trop forte et ne laisse pas la place au lâcher-prise, au non-vouloir, on appelle cela le volontarisme. C’est comme si une instance intérieure, un surmoi trop puissant, provoquait une scission entre le corps et la conscience, en instrumentalisant le corps. Chirpaz explique qu’ « à partir du moment où je veux, je ne suis plus tout à fait sûr de coïncider parfaitement avec moi-même, une faille se produit ». Quand le vouloir se durcit, il se volontarise et tout ce qui arrive n’est alors que réponse à des projets internes sans communication avec le monde. « Le vouloir qui se crispe tend à nier sa corporéité » (Chirpaz). Ce vouloir pathologique ne permet pas au non-vouloir de s’exprimer et ne laisse pas la place à l’inconscient. Au lieu d’une fusion corps-esprit, le corps s’éprouve au contraire comme autre, comme résistance, comme opacité. (On retrouve ce phénomène dans les cas d’anorexie mentale notamment, avec le besoin de tout contrôler). « La douleur, la fatigue et la maladie sont rétrécissement de la présence qui se recroqueville sur elle-même » (B.Lesage). Le volontarisme, avec une telle maîtrise du corps, est donc l’amputation de la présence et de la conscience, avec un phénomène de « je désincarné » qui contrôle tout. B.Lesage explique que le soi est une totalité : conscience, non conscience (inconscience) et relation au monde. Or
cette instance volontariste bloque et fragmente l’unité formée par ces éléments. Il a été observé que chez des individus volontaristes, les muscles superficiels font le travail des muscles profonds cybernétiques. Il s’agit d’une utilisation intellectuelle du corps. Cependant c’est cette motricité cybernétique qui est en jeu lorsqu’on laisse les mouvements se faire. Le volontarisme étant fréquent chez les gens et plus ou moins prononcé, le travail va donc consister à (re-)éveiller cette motricité cybernétique pour réapprendre à lâcher-prise dans le mouvement, pour se reconnecter à une partie non consciente fondamentale de l’être. La vigilance va déterminer l’intervention des muscles cybernétiques profonds, c’est-à-dire que plus l’individu est présent et conscient, inséré dans le temps et l’espace, moins l’instance surmoïque et volontariste interviendra par le biais des muscles superficiels pour un mouvement volontaire. Le geste retrouvera de la fluidité, et le surmoi sera ré-éduqué pour laisser le pont plus ouvert entre conscient et inconscient. Les approches corporelles intuitives et perceptivo-sensorielles abordées plus haut ont la même finalité : dérationaliser l’acte moteur et lutter contre les schémas volontaristes, inhiber la motricité volontariste pour laisser la place au système cybernétique.
Chez la plupart des gens, le corps est rarement totalement investi. Le travail en danse-thérapie va consister à faire prendre conscience aux individus de leur corps et de la conscience qui s’y meut (et s’y émeut). Il s’agit d’ « incarner » son corps au maximum, de conscientiser ses tensions et ses blocages qui sont très souvent, notamment en cas de chronicité, une manifestation psychosomatique, tonus musculaire, psychisme et émotions étant connectés –parfois l’expression d’un surmoi volontariste provoquant une scission du sujet. Grâce à des techniques de prise de conscience corporelle, par la sensorialité, l’analyse, la visualisation, l’intuition, le corps est perçu différemment, dans sa globalité, est mieux compris, et la présence de l’individu à lui-même et au monde devient plus riche et plus subtile.


5) Symbolisation


L’efficacité symbolique du mouvement


Dans le mouvement il y a d’un côté l’aspect matière « brute », corporel, l’instinct, et d’un autre le sens, la signification véhiculés ; autrement dit, le mouvement est porteur à la fois d’aspects conscients et inconscients, ce qui fait son intérêt dans la thérapie par la danse. Par l’intermédiaire du mouvement et grâce au médium corps, conscient et inconscient pourront s’exprimer au cours de la séance. L’art-thérapeute pourra faciliter cette expression en préparant un cadre adapté: groupe jouant le rôle de contenant, de matrice, et musiques choisies permettant une baisse de la censure, un certain état de transe, de façon à mettre en phase temps et mouvement sans l’intervention du refoulement, du jugement ou d’a priori pouvant bloquer l’action et l’expression de l’inconscient. Le sujet pourra alors passer du sens à la sensation et l’émotion, ou inversement, et visiter différents états de conscience au cours de sa danse. La répétition est un processus intéressant permettant de passer au-delà ou en-deçà du sens pour arriver à la matière brute du mouvement, à son aspect sensuel, sensitif et émotionnel. Elle permet donc d’aller plus en profondeur, et d’atteindre l’inconscient de l’individu.
Dans le mouvement ainsi libéré, il peut y avoir associations libres au cours d’improvisations (comme dans les rêves), chaînes de significations qui révèlent alors du sens et créent des liens entre évènements inconscients qui peuvent alors s’exprimer. Les contenus qui ne sont pas encore intégrés, donc pas symbolisés (évènements trop violents et choquants par exemple), ont besoin de s’exprimer, d’être transférés et symbolisés, conscientisés par un médium, ce que permettra la danse-thérapie. Les actions et les mouvements réalisés vont ainsi avoir un effet sur l’appareil psychique (comme par exemple faire le ménage permet souvent d’y voir plus clair, par un nettoyage intérieur symbolique). « Le cadre dans lequel se déroule la danse (…) permet cette mise en ordre de contenus inconscients qui trouvent ainsi une issue ». Chaque sujet a sa propre énonciation, ses propres gestes dans le travail de symbolisation. Son mouvement devient support de la symbolisation, le travail corporel support du travail psychique. On se trouve au-delà des catégories mentales qui font écran à la perception en profondeur, on touche alors l’essence même du mouvement, l’inconscient de l’individu, souvent trop bien protégé par la censure et les mécanismes de refoulement et de défense. Il est difficile de s’extraire de ses cases mentales, du jugement, de la pensée, du connu, pour vivre
pleinement le moment présent (temps et action en phase) mais au fur et à mesure des séances de danse-thérapie, le mouvement aidera à lâcher-prise, notamment grâce à un travail sur la qualité du geste. La personne deviendra alors plus malléable et s’exprimera plus librement. Car « c’est bien ce qui dérange lorsque l’on est en face d’oeuvres d’art : elles bousculent notre perception et nos catégories et risquent de les faire évoluer ». Ensuite chaque individu évoluera à son rythme, ou bloquera son évolution, en décidant de ne pas changer. L’art-thérapeute devra accepter cela : il pourra guider, mais « on ne tire pas sur un brin d’herbe pour le faire pousser », donc il aura aussi à faire preuve de patience.
Ainsi la danse-thérapie, par le biais du mouvement, permet un travail corporel support du travail psychique, grâce aux variations de tonus et de flux posturaux, à une investigation de l’espace et une structuration active du temps, à l’expression de l’inconscient suite à une baisse de la censure, en aidant l’individu à trouver sa place et à se définir au sein d’un groupe. Nous sommes en danse-thérapie au-delà des mots de la cure psychanalytique, qui peuvent faire barrage (car directement en relation avec les catégories mentales) à un travail en profondeur et au dévoilement de l’inconscient. Le mouvement est révélateur de sens et porteur de significations, il est un pont entre les états conscient et inconscient, d’où son intérêt thérapeutique. La danse-thérapie permet donc de sonder les profondeurs de l’inconscient. Le corps et le mouvement proposent un moyen d’expression, vécu comme une issue, pour les pulsions et les émotions. En tant que commémoration de la fusion primordiale mère-enfant, la danse réactive les strates non conscientes les plus enfouies d’un individu. Elle offre un langage de base avec lequel chacun est libre de composer, et aide à rencontrer l’autre tout autant que soi-même.


Bibliographie :
Le besoin de danser, France Schott-Billmann
Dialogue corporel et danse-thérapie, Benoît Lesage
La danse dans le processus thérapeutique, Benoît Lesage
L’art-thérapie, J. Rodriguez, G. Troll
Tout savoir sur l’art-thérapie, R. Forestier
L’art-thérapie, JP Klein

Partager cette page
Repost0

Présentation

  • : Le blog de la santé au naturel
  • : Les médecines "douces", les médecines asiatiques, les arts corporels: informations et conseils pratiques pour améliorer naturellement sa qualité de vie.
  • Contact

Qu'en pensez-vous?

N'hésitez pas à commenter les articles et à donner votre avis, ou à partager vos expériences en rapport avec les thèmes abordés sur le blog! Cela pourra être intéressant pour tous!

Recherche